T’kout
rideau
pics de l'aurès

C'est aussi une explosion qui réveille en sursaut le gendarme Martial Pons et sa femme. Dans son berceau, leur petite fille de huit mois se met à hurler.
Mme Pons ne supporte plus ce bled perdu. T'Kout est le dernier village au bout d'une petite route qui conduit aux gorges sauvages de Tighanimine. La plus proche localité est Tiffelfel, où viennent d'arr­ver deux jeunes instituteurs, les Monnerot, que Mme Pons a aperçus il y a quelques jours. Tout autour de T'Kout, le désert. De la pierraille, quelques rares chênes, des oliviers tordus. Lorsque Mme Pons est arrivée à T'Kout où son mari était depuis plus d'un an elle a été effrayée. Une mechta où vivaient quelques familles musulmanes dominait la brigade  qui l'abriterait. C'était un beau bâtiment tout neuf, confortable avait dit Martial.
Le moindre achat nécessite un voyage à Batna, à 100 kilomètres de là. Et puis ce que Mme Pons redoute par-dessus tout c'est l'hiver. Elle s'était imaginée que l'hiver, en Algérie, c'était Nice ou Cannes, en plus chaud. Très vite Mme Pons a fait comme les autres femmes de la brigade , elle ne sort plus de T'Kout que pour aller consulter le médecin pour son nouveau-né. Et puis hier au soir, des coups de feu dans la montagne. Et maintenant cette explosion.
Ce doit être une bombe. Habille-toi, lui dit son mari qui revient dans l'appartement, viens avec la petite t'installer au deuxième. On va toutes vous mettre dans cet appartement pendant qu'on va aller en patrouille. Deux gars vont rester avec vous.

Les huit gendarmes sortent dans la nuit. Les pics sauvages, les pitons qui entourent la mechta se détachent sur le ciel clair. Les gendarmes se dirigent vers la route. Des coups de feu éclatent. Aboiements des mitraillettes, claquements secs des mousquetons. Les hommes refluent dans la brigade  et verrouillent la porte. Personne n'a été touché. Martial grimpe quatre à quatre l'escalier qui mène à la terrasse, débouche en plein clair de lune. A nouveau c'est la mitraillade. Il a juste le temps de se protéger en s'aplatissant derrière le muret.
A l'étage au-dessous, Mme Pons prépare un biberon pour sa fille qui pleure toujours, elle l'approche du berceau. A l'instant où les coups de feu claquent, la bouteille lui éclate dans les mains tandis que la bouillie coule sur les draps blancs. Une des balles destinées à son mari vient de briser le biberon du bébé. T'Kout est bloqué. Dix gendarmes, quatre femmes et cinq enfants sont prisonniers dans l'Aurès. Il est 3 h 20.

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